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La découverte faite par Victor Hugo à la tour Grégoire
Cette ancienne tour de guet, érigée vers le 11ème siècle, a fait l'objet d'une trouvaille de la part de Victor Hugo lors de son passage à Givet août 1838.
Il parle de sa découverte dans son livre "Le Rhin", lettre V. Extraits :
" Dans la journée, j’avais voulu visiter cette vénérable tour qui tenait jadis en respect le petit Givet. Le sentier est âpre et occupe autant les mains que les pieds ; il faut un peu escalader le rocher, lequel est de granit fort beau et fort dur.
Arrivé, non sans quelque peine, au pied de la tour, qui tombe en ruine et dont les baies romanes ont été défoncées, je l’ai trouvée barricadée par une porte ornée d’un gros cadenas. J’ai appelé, j’ai frappé, personne n’a répondu. Il m’a fallu redescendre comme j’étais monté.
... j'avais voulu visiter cette vénérable tour...
Cependant mon ascension n’a pas été tout à fait perdue. En tournant autour de la vieille masure, dont le parement était presque complètement écorcé, j’ai remarqué, parmi les décombres qui s’écroulent chaque jour en poussière dans la ravine, une assez grosse pierre où l’on pouvait distinguer encore des vestiges d’inscription. J’ai regardé attentivement ; il ne restait plus de l’inscription que quelques lettres indéchiffrables.
Voici dans quel ordre elles étaient disposées :
LO QVE SA L OMBRE
PARA S MO DI S L
ACAV P S OTROS.
Ces lettres, profondément creusées dans la pierre, semblaient avoir été tracées avec un clou ; et un peu au-dessous, le même clou avait gravé cette signature restée intacte :
- IOSE GVTIEREZ , 1643.
J’ai toujours eu le goût des inscriptions. J’avoue que celle-ci m’a beaucoup occupé. Que signifiait-elle ? en quelle langue était-elle ?
Au premier abord, en faisant quelques concessions à l’orthographe, on pouvait la croire écrite en français et lire ces choses absurdes : Loque sale. – Ombre Parasol. – Modis (maudis) la cave. – Sot. Rosse.
Mais on ne pouvait former ces mots qu’en ne tenant aucun compte des lettres effacées,
Et d’ailleurs, il me semblait que la grave signature castillane, Jose Gutierez, était là une protestation contre ces pauvretés.
En rapprochant cette signature du mot para et du mot otros, qui sont espagnol ; j’en ai conclu que cette inscription devait être écrite en castillan et, à force d’y réfléchir, voici comment j’ai cru pouvoir la restituer :
LO QUE
EMPESA EL HOMBRE
PARA SIMISMO DIOS LE
ACAVA PARA LOS OTROS
= Ce que l'homme commence pour lui, Dieu l'achève pour les autres. –
Ce qui me semble vraiment une fort belle sentence, très catholique, très triste et très castillane. Maintenant qu'était ce Gutierez ? La pierre était évidemment arrachée de l'intérieur de la tour. 1643, c'est la date de la bataille de Rocroy. Jose Gutierez était-il un des vaincus de cette bataille? Y avait-il été pris? L'avait-on enfermé là ? Lui avait on laissé le loisir d'écrire dans son cachot ce mélancolique résumé de sa vie et de toute vie humaine? -
Ces suppositions sont d'autant plus probables, qu'il a fallu, pour graver une aussi longue phrase dans le granit avec un clou, toute cette patience des prisonniers qui se compose de tant d'ennui. Et puis, qui avait mutilé cette inscription de la sorte? - Est-ce tout simplement le temps et le hasard? - Est-ce un mauvais plaisant? - Je penche pour cette dernière hypothèse. Quelque goujat, de méchant perruquier devenu mauvais soldat, aura été enfermé disciplinairement dans cette tour et aura cru faire montre d’esprit en tirant un sens ridicule de la grave lamentation de l'hidalgo. D'un visage il a fait une grimace.
- Aujourd'hui, le goujat et le gentilhomme, le gémissement et la facétie, la tragédie et la parodie, roulent ensemble pêle-mêle sous le pied du même passant, dans la même broussaille, dans le même ravin, dans le même oubli !"
Retrouvez la relation du passage de Victor Hugo à Givet dans nos numéros 8 et 89 de notre revue Ardenne Wallonne


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